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Il n’y a pas de ressources sans projet m’a-t-on dit! Ce que je veux bien croire. Mais si la ressource est sauvage, le projet devrait l’être aussi sous peine de la dénaturer. Or le projet, c’est l’homme; et qui pourrait se vanter aujourd’hui d’être sauvage? Y eut-il jamais sur Terre un homme sauvage? Disons que la Nature, quand elle n’a pas encore été altérée par la Culture, peut paraître sauvage… Mais un homme sans culture, c’est quoi ? Pour tailler des silex, il fallait déjà en avoir assez! Et que dire des bisons de Lascaux ou d’Altamira?

Faire l’inventaire des ressources sauvages reste donc une aventure hasardeuse! Il faudrait être abeille pour aller droit au but et trouver, au terme de toute exploration, l’objet de son désir! Naviguer au radar de l’instinct, sans autre indice et sans autre gouverne que son appétit… Oui, faire de toute appétence le principe de sa recherche pour se ruer vers cet ailleurs délectable dont on saurait, sans y réfléchir, qu’il serait aussi consommable. Ah quel bonheur! Le bonheur d’être abeille, n’obéissant qu’au seul attrait des fleurs. Encore faudrait-il s’assurer qu’elles ne soient pas toxiques; et comment en juger, sans avoir recours précisément à un certain savoir, enregistré, mémorisé, codifié et qu’on puisse encore solliciter à bon escient! Mais qu’est-ce que tout ça, sinon de la Culture?

Nous voilà donc dans l’impasse; à moins qu’on fasse entrer en lice le rêve, cette évasion incontrôlée de la mémoire! Car le rêve a quelque chose de sauvage, il nous aiguille sans discernement et nous engage dans des chemins de traverse pleins d’énigmes dont la résolution a quelque chose d’un butinage, apparemment aberrant et cependant sélectif… En somme prospecter des ressources sauvages reviendrait à ne s’abandonner point tant à sa Culture qu’à sa Nature, celle qu’aucune éducation n’avait encore domestiquée. Il me semble qu’il y a dans l’Art cette virtualité, cette façon inintelligible d’accéder à l’objet de sa quête, et à propos de quoi d’autres pourront épiloguer longtemps! Les shamans ont sans doute cette faculté. J’en ai vu un, venant d’Équateur qui allait droit vers des simples jusqu’alors inconnues de lui, en Europe, pour les froisser, les renifler, et me signifier d’un air entendu qu’il avait fait là une prise d’importance. Ainsi suis-je persuadé qu’il faut, pour prospecter une Nature sauvage, l’innocence et la foi de ces inspirés qui surent bâtir des cathédrales! Qu’il faut accepter de voir autre chose que ce que l’on regarde, et se laisser aller à cet appétit insensé qui ressemble à l’amour. En somme c’est cela : pour approcher la Nature sans avoir peur de s’en repaître, il faut aimer s’y perdre! Alors tout devient simple: il y a équivalence entre ce qu’on aime et ce qu’on est; le bonheur de cet échange en devient salutaire: c’est une sauvegarde!

L’amour de l’abeille m’aura amené jusque-là, jusqu’à cette façon d’être, sauvage et communicante! Non pas la non-discrimination chère à Fukuoka, mais le choix irraisonné de ce à quoi on était voué, déterminé peut-être par vocation secrète, elle-même induite par ce goût de vivre qui nous maintient debout. Fascinés par ce qui nous attire, et peut-être nous ressemble, nous allons de feuille en feuille, de fleur en fleur, de bouche en bouche, vers cet ailleurs qui nous attend pour nous alimenter de quelque connaissance. Greffoir en main, je vais, quant à moi, par les garrigues, laissant trace du rêve qui nous a éduqués, cherchant d’arbre en arbre le paradis peut-être: un univers sauvage qui aurait accepté d’être approché sans dommage! Où suis-je donc, aujourd’hui, sinon sur Terre, au labyrinthe de tous les compromis, pétri de cette rationalité qui nous a si parfaitement asservis, rêvant encore d’espaces quand on m’entoure de murs aveugles?

Publié dans Magazine N° 2 de Kokopelli

By Gerard